Par deux arrêts du 25 mars 2022 la chambre mixte de la Cour de cassation a reconnu, par un arrêt, le caractère autonome du préjudice d’angoisse de mort imminente et du préjudice d’attente et d’inquiétude.
- Préjudice d’angoisse de mort imminente
- Débat quant au caractère autonome de ce préjudice successoral
Pendant longtemps, les différentes chambres de la Cour de cassation se sont opposées sur la question de savoir si le préjudice d’angoisse de mort imminente devait être inclus dans le poste des souffrances endurées de la nomenclature Dintilhac ou être réparé comme un préjudice autonome :
- La chambre criminelle admettait ainsi la possibilité d’évaluer le préjudice d’angoisse de mort imminente séparément du poste des souffrances endurées (Crim. 23 oct. 2012, n° 11-83.770 ; Crim. 15 oct. 2013, n° 12-83.055).
- La deuxième chambre civile refusait pour sa part d’autonomiser ce poste de préjudice et estimait au contraire que « le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés, est inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l’origine de ces souffrances » (Civ. 2e, 20 oct. 2016, n° 14-28.866).
Cette chambre rappelait en outre qu’il convient de ne pas indemniser plusieurs fois le même préjudice, les doublons d’indemnisation étant contraires au principe de l’indemnisation intégrale du préjudice corporel (Civ. 2e, 2 févr. 2017, n° 16-11.411 ; Civ. 2, 14 sept. 2017, n° 16-22.013) ;
- De son côté, la première chambre civile avait jugé que le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice des souffrances endurées, quelle que soit l’origine de ces souffrances, l’ angoisse de mort imminente éprouvée par la victime ne pouvait justifier une indemnisation distincte qu’à la condition d’avoir été exclue de ce poste (Civ. 1re, 26 sept. 2019, n° 18-20.924).
- Préjudice d’angoisse de mort imminente – Arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation du 25 mars 2022 (n°20-15.624)
La chambre mixte de la Cour de cassation (composée de la première et la deuxième chambre civile et de la chambre criminelle) a désormais affirmé le caractère spécifique et autonome du préjudice d’angoisse de mort imminente, qui peut être indemnisé en sus et séparément des souffrances endurées.
En l’espèce, un individu victime de plusieurs coups de couteau, est décédé après avoir été transporté à l’hôpital. Ses ayant droits ont saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) en vue d’obtenir réparation de leurs préjudices personnels et successoraux.
La Chambre mixte de la Cour de cassation a jugé que :
« La nature et l’importance des blessures, rapportées au temps de survie de la victime, âgée de seulement vingt-sept ans, dont l’état de conscience a conduit sa famille à juger possible son transport en voiture légère jusqu’à l’hôpital, démontrent que [R] [X] a souffert d’un préjudice spécifique lié à la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales causée par une hémorragie interne et externe massive, et que le premier juge a procédé à sa juste évaluation.
«C’est, dès lors, sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d’appel, tenue d’assurer la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime, a réparé, d’une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d’autre part, de façon autonome, l’angoisse d’une mort imminente. »
- Préjudice d’attente et d’inquiétude des victimes indirectes – Arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation du 25 mars 2022 (n°20-17.072)
Ainsi, par cet arrêt, la chambre mixte de la Cour de cassation a affirmé pour la première fois que le préjudice d’attente et d’inquiétude des victimes par ricochet ou des victimes indirectes devait être indemnisé de façon autonome, créant se faisant un poste de préjudice autonome et spécifique:
« le préjudice d’attente et d’inquiétude que subissent les victimes par ricochet ne se confond pas, ainsi que le retient exactement la cour d’appel, avec le préjudice d’affection, et ne se rattache à aucun autre poste de préjudice indemnisant ces victimes, mais constitue un préjudice spécifique qui est réparé de façon autonome. »
Ce poste de préjudice ne peut néanmoins être indemnisé qu’en cas d’atteinte grave ou de décès de la victime directe :
« Ce préjudice, qui se réalise ainsi entre la découverte de l’événement par les proches et leur connaissance de son issue pour la personne exposée au péril, est, par sa nature et son intensité, un préjudice spécifique qui ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement. »
La Cour de cassation a précisé dans le communiqué joint à ces deux arrêts qu’il s’agit de deux nouveaux postes au sein de la nomenclature Dintilhac.
Ces deux arrêts permettront à l’avenir une meilleure prise en compte et indemnisation des différents préjudices des victimes directes et indirectes d’accidents.