La Commission des lois du Sénat a déposé, le 24 janvier 2024, un rapport relatif à la refonte du régime juridique des actions de groupe.
Introduites en droit français par la loi n°2014-344 dite « loi Hamon », les actions de groupe ont, à ce jour, connu un succès modéré, puisque 35 actions seulement ont été initiées depuis maintenant presque dix ans.
La plus emblématique de ces affaires est certainement celle de la Dépakine, initiée par l’APESAC (Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant) à l’encontre du laboratoire SANOFI.
Le défaut d’attractivité de l’action de groupe française s’explique, notamment par le fait que :
- Elles sont limitées à un certain nombre de domaines : consommation et pratiques anticoncurrentielles, santé, environnement, protection des données personnelles, discriminations au travail et location d’un bien immobilier.
- La qualité à agir n’est réservée qu’à des associations agréées.
- Le législateur a choisi d’opter pour le mécanisme de l’opt-in, qui requiert que les victimes effectuent des démarches afin d’être indemnisées.
I. Proposition de loi du 15 décembre 2022
L’Assemblée nationale avait enregistré le 15 décembre 2022 une proposition de loi n°659 relative au régime juridique des actions de groupe.
Cette proposition visait à encourager le recours aux actions de groupe via :
- L’universalisation du champ matériel de l’action de groupe afin que cette procédure soit applicable en toute matière ;
- L’universalisation des préjudices indemnisables, permettant ainsi par exemple l’indemnisation d’autres préjudices que les corporels en matière de droit de la santé ;
- L’élargissement de la qualité à agir : l’objectif était de ne plus limiter cette qualité aux seules associations agréées mais de permettre à toutes les associations régulièrement déclarées depuis deux ans, représentant au moins 50 personnes physiques ou 5 personnes morales de droit privé inscrites au registre du commerce et des sociétés ou 5 collectivités territoriales ou leurs groupements d’agir ;
- La mise en place d’un cadre procédural commun aux actions de groupe, quelle que soit la matière concernée ;
- L’intégration de la directive européenne relative aux actions représentatives, qui prévoit notamment la possibilité d’initier des actions de groupe transeuropéennes ; ou encore
- La mise en place d’un registre national des actions de groupe.
II. Avis de la Commission des lois du Sénat sur le projet de loi
La Commission des lois a émis un certain nombre de réserves sur la proposition de loi de l’Assemblée Nationale :
- Elle estime que l’universalisation du champ matériel de l’action de groupe emporterait un risque de « dérives » en matière de droit du travail et de santé. Ces « dérives » tiennent selon le rapporteur au fait qu’une ouverture excessive dans ces domaines pourrait porter préjudice à des « praticiens et des professionnels ne pouvant se défendre de façon appropriée contre le risque réputationnel qu’emporte l’engagement d’une telle action »à leur encontre ;
- Elle a resserré les critères devant être remplis par les associations ayant qualité à agir afin d’éviter qu’un certain nombre d’associations qu’elle qualifie de « malveillantes » ne fassent usage de ces procédures : les associations devront disposer d’un agrément délivré par une autorité administrative et présenter des garanties de sérieux et de transparence, notions très peu explicitées dans le rapport de la commission des lois ;
- Elle a décidé de supprimer le mécanisme d’amende civile prévu par la proposition : il était en effet proposé d’instaurer une sanction civile en cas de faute intentionnelle, en vue d’obtenir un gain ou une économie indue, ayant causé un ou plusieurs dommages à plusieurs personnes physiques ou morales placées dans une situation similaire. Le produit de l’amende devait être réservé au Trésor public. Si l’auteur de l’infraction était une personne physique, le montant ne pouvait être supérieur au double du profit réalisé. S’il s’agissait d’une personne morale, le montant était fixé à 3 % du chiffre d’affaires moyen annuel ;
- Elle a étendu le contenu du registre national des actions de groupe à l’ensemble des actions de groupe, actions collectives et actions en reconnaissance de droits, qu’elles soient en cours ou clôturées ou qu’elles aient fait l’objet d’un désistement. La proposition de loi limitait en effet le registre aux seules actions en cours ;
- Enfin, la Commission des lois a choisi de supprimer l’exécution à titre provisoire du jugement sur la responsabilité.
Le texte modifié de la proposition de loi sera examiné en séance publique à partir du 6 février 2024.
Commentaires de Solenn Le Tutour
Alors que les tribunaux sont de plus en plus sollicités par des actions collectives, chronophages et complexes dans leur gestion, il paraît pour le moins inaudible et anachronique que le législateur entende limiter encore le recours aux actions de groupe, qui existent quoiqu’il en soit, sous forme d’actions collectives conjointes et qui, dans leur forme actuelle, épuisent les greffes, les magistrats et les avocats, sans parler des justiciables.
Ces actions visant à agréger nombre de demandeurs dans une situation similaire contre un ou plusieurs défendeurs, sont amenées à se développer de manière importante et continuellement dans les prochaines années.
L’action de groupe a aussi vocation à faciliter le travail des professionnels du droit, oubliés de ces discussions qui apparaissent déconnectées des problématiques pratiques que posent les actions de masse collectives hors cadre de l’action de groupe.
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Le cabinet LE TUTOUR représente des victimes françaises et étrangères dans des litiges de masse en France, notamment en matière de dispositifs médicaux défectueux, et notamment le litige des implants mammaires PIP. Il suit donc de près l’évolution du régime juridique des actions de groupe.